

JEAN LESBORDES

Un Arc en plein coeur
Homéric - CHEVAL IOISIR.
Urban Sea n'est pas la plus belle. Elle a le poil pelucheux des chevaux frileux qui, dès la première, brise humide, changent leur robe satinée pour un manteau de fourrure. En fait, Urban Sea est comme son mentor, lequel a toujours le haut du crâne couvert d'un chapeau ou d'une casquette. Jean Lesbordes est confiant et pourtant. , excepté à son jeune jockey, Eric Saint Martin, fils du célèbre Yves, il n'a dit à personne que sa jument allait l'emporter. Pourquoi donc tant de secrets ? Parce que l'amour se partage difficilement et que les sentiments sont exclusifs. Et puis, personne ne l'aurait cru. Urban Sea est cotée à 38 contre un. On lui préfère Hernando, joli bai au regard ourlé de blanc. Opéra House, un anglais à la croupe de lapin assis au bord de son terrier. Arminger, un alezan aux membres chausses de blanc. Intrepidity. Une, bai brune, bâtie comme un gladiateur. Shemaka, une fine pouliche au front anxieux, ou encore Wemyss Bight, autre championne malchanceuse. Bref. Urban Sea n'est, pas dans le cœur des turfistes ni des, professionnels. Mais de ça, Jean Lesbordes s'en moque puisque son coeur ne bat que pour elle. Et cela depuis le premier jour où ils se sont rencontrés,
Cette rencontre remonte à trois ans. Jean Lesbordes visitait des haras à la recherche de poulains pour l'un de ses propriétaires, un Japonais que l’on croyait fortuné. Urban Sea était yearling, âgée de un an et demi. « Dès que je l’ai aperçue, dit l'entraîneur, je l'ai aimée." Urban Sea n'est pourtant pas un premier prix de beauté, et la décrire a de quoi faire hurler un hippiatre. Elle n'est pas épaisse, son garrot est long et tranchant et il sort de ses épaules, telle une nageoire de requin rompant les flots. Levrettée sans aucune émotion, les hanches hautes et sans chair, un tour de rein bombé, sa silhouette est encore malmenée par une queue dégarnie. Ses membres ont des boulets de travers, des sabots camus à l’avant, bombés à l'arrière, style fer à repasser. Quant à ses talons, ils sont si près du sol qu'ils tiennent plus du chameau que de l'équidé. Son visage maintenant, tout un poème ! Urban Sea a une longue tête, légèrement incurvée au dessous de ses yeux tendres ombragés de grands cils. Une étroite liste en tête, effilée comme un poignard, décore son chanfrein câlin. Ses ganaches sont plates et sa nuque a du mal à souder la tête à l'encolure. « Mais, se souvient Jean Lesbordes, c'est sa tète qui m'a plu tout de suite. Elle était très réceptive et tout son charme résidait dans ses oreilles. » Ah ! Les oreilles de la championne. Elles sont toujours en mouvement, car Urban Sea, que l'on dit oreillarde, est une curieuse, une vraie concierge des plus sympathiques. Bon. Jean Lesbordes ne résiste pas au dégingandée. Ce coup de cœur lui fera débourser 280 000 francs, or le nouveau copropriétaire chinois d’Urban Sea ne règle pas les pensions à Jean Lesbordes, ce dernier se voit dans l'obligation de la mettre en vente.
Hélas! Personne ne veut d'elle. Des vétérinaires américains prétendent que, vu sa conformation, elle risque de ne jamais voir un champ de course, Mais Jean Lesbordes aime sa jument et sait qu'elle est bonne : « Si les juments oreillardes n'ont pas toutes de la qualité, elles ont toutes du cœur et se donnent à fond », l'entraîneur parvient il décider l’homme d'affaires chinois installé à Hong-Kong, David Tsui, de la racheter pour 3 millions de francs. Folie ? Non, car si Jean Lesbordes est amoureux de sa pouliche, il est lucide : « C’est une jument qui ne s’affole pas. Elle est très douce et les débutants peuvent la monter. C’est une crème de jument, elle ne fait pas de caprice, s'adapte à tous les hippodromes, tous les terrains, toutes les distances et comme elle est curieuse, nous lui avons offert plein de voyages-. Ainsi, Urban Sea va courir au Canada où la température est de quatre degrés sous zéro, en Californie où le climat affiche un thermomètre à 28 degrés, en Angleterre et même à Hong Kong. Et comme elle ne se prend pas pour une star, elle court en province sur l'hippodrome du Lion d'Angers. Avant de prendre le départ du Prix de l'Arc de Triomphe, la petite Cendrillon a remboursé son prix d'achat. Ses nouveaux propriétaires, les Tsui et leurs enfants, sont fous d'elle. Bien sur, le grand Jour de la course, Ils sont présents dans les tribunes et si Jean Lesbordes est si sur de la victoire, c'est qu'Urban Sea aime bien le terrain lourd et que lors de son dernier galop d'entraînement, elle s'est envolée en compagnie de son nouveau jockey. De plus, même si elle est plutôt fluette, Urban Sea ne craint pas les incidents de course, les bousculades dangereuses du peloton où les adversaires sont avides de victoire.
Durant les 2400 m de l'épreuve, Jean Lesbordes, modeste entraîneur de province qui s'est installé il y a sept ans sur Paris, ne quitte pas des jumelles son adorable alezane qui, à l'écurie, a ce défaut de prendre sa mangeoire pour un WC. Lorsque Urban Sea rompt le fil invisible du poteau d'arrivée sous les centaines de flashes des photographes et l'ovation des 30 000 spectateurs, Jean Lesbordes explose. Il dévale les escaliers des tribunes au risque de se rompre le cou, puis, à grandes enjambées, Il rejoint sa belle, lui saute à l'encolure et l'embrasse longuement. Epaule contre épaule, il la ramène par la bride à la place réservée au vainqueur.Tous ceux qui s'étaient moqués de sa Jument rient jaune. Cependant. Il reste beaucoup de monde pour partager ce bonheur et à cet instant, alors que son rêve vient de se réaliser comme il l'avait prévu, Jean Lesbordes, entraîneur qui a connu des périodes sans succès, des années difficiles, se met à pleurer comme un enfant. De grosses larmes inondent son visage et, pareil à un barrage fissuré, il ne parvient pas à les arrêter.
Alors, il enfouit son nez mouillé dans le col tiède d'Urban Sea, tout heureuse de consoler celui qui n'a jamais cessé de croire en elle et de l'aimer. La victoire est revenue au plus méritant. Si Jean Lesbordes est devenu l'entraîneur le plus célèbre de l'année, le succès ne lui monte pas il la tête. Et si demain les lauriers le quittaient, il n'hésiterait pas il redevenir lad, car, me dit-il -le ne pourrais pas me passer des chevaux. Ils sont mon équilibre, ma vie, mon bonheur, et dans les périodes difficiles, ils ont toujours su me réconforter et me rendre espoir.
23 avril 2014 LESBODES Jean created with Wix.com