

JEAN LESBORDES

Un Arc en de multiples Triomphes
ou
La fabuleuse histoire d’URBAN SEA
Née, de l’union de Miswaki et d’Allegretta, ma mère, de souche Germanique, me donne le jour aux EtatsUnis en 1989, après avoir accompli une carrière de course en Angleterre sous la férule de Sir Michael Stoute. Foal j’embarque pour la France et me retrouve au Haras d’Etreham où je vais paisiblement évoluer dans ce beau bocage Normand. C’est la que par une belle après midi de juillet, les ventes de Deauville approchant, je suis présentée dans la cour du Haras à un entraîneur venu voir la production proposée sous le feux des enchères au mois d’Août et qui a quelques crédits en poche pour un investisseur Japonais avide de monter une Grande écurie de course en France.
Présentée à celui-ci, il a en me voyant marcher comme un coup de foudre. Il m’examine sous toutes mes coutures et repart avec la certitude que nous allons passer un bon bout de chemin ensembles.
A Deauville, je reçois plusieurs visites de cet homme vu au haras et que je sens impatient de voir arriver le moment fatidique, ce qui ne tarde pas. Mon tour arrive, je tourne devant une assemblée représentant le gotha des investisseurs, les enchères commencent et en un rien de temps je suis adjugée, 280 000 F, pour le compte du Japonais M. Sawada. Le lendemain, j’embarque dans un van S T H, en compagnie d’autres poulains et pouliches achetés par Sawada, pour rejoindre la cour de mon entraîneur à Lamorlaye.Après un débourrage sans montrer la moindre réticence, je suis mon travail calmement à tel point que l’on a aucun souci pour m’attribuer un cavalier, faisant preuve envers eux de la plus grande douceur et tranquillité, suivant avec application ce qu’ils me demandent d’accomplir. Les rigueurs de l’hiver commencent à peine à s’estomper, j’apprends que mon propriétaire a fait une énorme faillite et que l’effectif Sawada va passer en vente.
Quel sort va m’être réservé, sous quels cieux vais-je devoir à nouveau évoluer ?
Mon inquiétude se dissipe assez rapidement, mon entraîneur me faisant part que nous avons une chance de continuer ensembles. Il vient, par l’intermédiaire d’un ami avocat, de rencontrer une chinoise de Hong Kong, qui commence à investir dans les chevaux et qui peut peut-être est intéressée par la reprise de la totalité de l’écurie Sawada. Rendez vous est pris, il rencontre Mme Tsui qui va lui laisser au premier contact une certaine fascination par sa détermination son intelligence et son coté humain dans sa vision des choses avant le côté purement financier de la question.
Après les tractations entre avocats des partis, je deviens, moi et mes compagnons d’écurie, propriété de Mr David Tsui et d’une chinoise de Taiwan, amie de Mme Tsui pour laquelle elle investi, Mme Liliane Oung.Je vais donc maintenant porter la casaque fraîchement déclarée, jaune un chevron violet, de Monsieur David Tsui, à moins que, suivant les tractations en cours, je ne porte celle de Liliane Oung.
Par une matinée de printemps arrive à l’écurie, un jockey texan, dépêché par Lilian Oung, en compagnie de son père coiffé de son traditionnel chapeau. Ils m’examinent moi et mes compagnons d’écurie et donnent leur verdict quand à la suite de l’évolution de notre carrière .Le Texan estime que je ne suis qu’une petite chose, une petite jument de province et qu’il faut me diriger à Pau chez Mr Rouget.Mon entraîneur ne l’entend pas de la même façon et il convainc Mme Tsui de me garder à Chantilly avec mes autres compagnons. Ses arguments l’ayant emporté, nous continuons notre route ensembles, non sans quelques conflits d’intérêts entre les partis, Monsieur Tsui, continuant à gérer ma carrière en faisant sien les différents entre elle et son amie. Je continue ma préparation et donne satisfaction montrant que mes capacités sont autres que celles d’une petite jument de province malgré un boulet antérieur droit présentant quelques faiblesses, ce qui me vaut une réduction d’activité durant quelques semaines.
Arrive l’automne de mes deux ans, n’ayant aucun mal à dominer dans les galops mes compagnons d’entraînement, notamment Take Risks, victorieux pour ses débuts à Deauville au mois d’août, je vais faire mes premiers pas en compétition. Evry le 11 septembre 1989 dans le prix de Morangis je termine deuxième sur 1400m. Le 04 octobre je remporte ma première victoire dans le prix Bella Paola sur 1600m à Maisons Laffitte ou après avoir été enfermée jusqu’à 150 m du but je n’ai pas de mal à m’imposer après un superbe rush final. Ma saison de deux ans se termine par une quatrième place dans la coupe Piaget à Deauville le 21octobre sur1400 m ligne droite.
Après un hiver sans encombre je fait ma rentrée le 10 mars à Maisons Laffitte dans le prix Imprudence ou mon entraîneur décide de me présenter afin d’avancer ma préparation, malheureusement, à la sortie des stalles de départ, je suis bousculée et mon jockey se retrouve à terre. Ma préparation est donc ratée.
Le 26 avril à Longchamp je vais parfaire ma condition par une sixième place dans le Prix de La Grotte. Mon entraîneur décide alors de m’envoyer courir sur la terre de mes ancêtres maternels à Dusseldorf, le 10 mai dans l’Arag Preis un Groupe II sur 1600 m. C’est à partir de la que je vais commencer à être lié à un nouveau compagnon de route avec qui je vais évoluer toute ma carrière de courses, il va me monter pratiquement tous les matins et avec lui je vais entamer un grand périple ; un grand escogriffe d’un mètre quatre vingt douze aux cheveux presque aussi longs que les crins de ma queue et ayant plus le look de John Lennon que d’un lad.
Nous embarquons donc tous les deux dans un van STH le samedi matin et au terme d’un voyage de plusieurs heures nous débarquons à Dusseldorf. Mon compagnon de route fier et un peu tendu car c’était pour lui son premier baptême du feu, la première fois où il allait se trouver confronté à toutes les responsabilités, la première fois ou il allait seller un cheval pour la course, mais grâce à ma douceur et ma facilité je ne lui cause aucun problème. Mon compagnon qui me présente en main au rond met le jockey Mickael Kinane sur mon dos lui donne les ordres et nous partons pour la course. Après un parcours où je subis maintes bousculades je me retrouve dans les dernières à l’entrée de la ligne droite mais me faufilant en dedans je remonte une à une toutes mes adversaires hélas le poteau est la et je ne termine que troisième dans une photo très serrée. Avec un meilleur trafic je pense que nous aurions gagné car quand mon compagnon me reprend les seuls mots de mon jockey sont « sory ».
Vers deux heures du matin nous arrivons à Chantilly, mon compagnon un peu déçu, mais sans avoir démérité. En vue de parfaire ma condition pour le prix de Diane je me retrouve en piste le 31 mai dans une Listed à Longchamp, le prix de la Seine et c’est sans encombre que je m’impose. Le 14 juin je dispute le prix de Diane.
Après une course limpide pour moi, je me retrouve à la corde pleine de ressources devant une jument qui recule et je ne peux que rétrograder pour pouvoir me dégager et venir à l’extérieur placer mon rush final ; mais trop tard je termine sixième. Mon entourage est déçu.
Le 18 juillet c’et à Evry que je retrouve la compétition, terminant deuxième du Prix Minerve, échouant d’une courte tête. 22 août me revoilà à Deauville, pour le Piaget d’Or et c’est sans problème que je m’impose de deux longueurs et demie dans cette épreuve richement dotée.
Le 13 septembre à Longchamp, mon jockey me demande de mener toute la course dans le Prix Vermeille sur les 2400 m, à mi ligne droite je prend un petit bol d’air des concurrentes me doublent je ne décline pas la lutte je m’accroche et terminant troisième derrière Jolipha et Cunning à une tête et une demi longueurs derrières elles.
Le 3 octobre je passe aux enchères à la vente de L’Arc de Goffs afin de régler le différent entre mes associés. Des vétérinaires Américains sont venus m’examiner et restent assez sceptiques quand à la suite de ma carrière mon boulet droit n’étant pas des plus académiques. Je me présente sur le ring, mon entraîneur met une enchère à trois millions de francs, clouant ainsi toute l’assistance. Je reste donc propriété à part entière de M. David Tsui, non sans quelques commentaires.
Le 14 octobre mon compagnon et moi embarquons à Roissy en compagnie d’une autre jument française direction Toronto pour les E.P. Taylor’s ou le 18, il faut toute la classe de notre compagne de voyage Hatoof pour me priver de la victoire. Le 20 nous embarquons vers la Californie ou nous avons été invités à courir les Yellow Ribon .
A notre arrivée à Santa Anita la température est vraiment estivale et mon compagnon doit me tondre car j’ai déjà revêtu ma parure d’hiver. Sur un terrai très ferme et une distance un peu courte, le 8 novembre malgré tous les supports de toutes les sœurs de mon propriétaire je ne peux mieux faire que de subir la loi de toutes ces demoiselles Américaines.
Nous rentrons au bercail pour un repos hivernal bien mérité, la grippe ayant repoussé le Hong Kong International Cup ou je suis invitée, devant attendre le printemps pour y participer.
Le 20 mars de l’année suivante je fais une rentrée victorieuse à Saint Cloud dans le Prix Exbury, préparant mon voyage en terre Chinoise. Triomphant pour la première fois dans une course au Label groupe. Le 10 avril me voila repartie avec mon compagnon vers, Hong Kong pays de mon propriétaire ou le 18 sous la poigne de Walter Swinburn je ne puis terminer que sixième sur les mille huit cents mètres du Hong Kong Vase.
De retour en France le 18 mai, de nouveau sous la selle de Walter Swinburn, je termine cinquième du Prix Jean de Chaudenay, à Saint Cloud. Le 15 juin au matin nous embarquons avec mon compagnon à Beauvais dans un petit avion accompagné de deux autres français pour disputer les Prince Of Walles’s Stakes à Ascot ou la sous la monte du Texan pour lequel mon entraîneur a rompu son intention de ne plus jamais l’employer, je vais, après avoir trébuché deux fois à mi ligne droite, finir deuxième derrière Placerville, battue du plus court des nez.
Le 11 juillet me voila au Lion -d’Angers pour la grande journée du Front Européen de l’Elevage, ou, à nouveau avec le Texan sur mon dos et quelques petits problèmes de trafic je n’ai pas de mal à imposer ma loi. Le 21 août nous nous retrouvons avec le Texan à Deauville pour dominer Verveine dans le prix de Gontaut Biron.
C’est à partir de la que mon entraîneur est persuadé que je suis capable de vaincre dans le prochain Arc de Triomphe le déclarant à qui veut bien l’entendre.
Dix jours avant le jour J je me retrouve sur l’hippodrome des Condés à Chantilly, le mercredi matin en compagnie d’une dizaine de mes compagnons d’entraînement où, sous la monte d’Eric Saint Martin, que je rencontre pour la première fois, et les regards de mon entraîneur qui est seul pour surveiller ce galop, j’accomplie un travail des plus satisfaisant, ce qui fait dire à mon mentor dès qu'il nous rejoint, elle va gagner l’Arc ; mon jockey lui répondant, bien courir oui mais gagner !!!
Je continue ma préparation sans inquiétude et sans problème sentant bien un peu de tension chez mon mentor qui malgré tout n’hésite pas la veille de la course à me présenter à une télévision japonaise venue me rendre visite à 11h30 du matin.
Dimanche 3 octobre après avoir effectué ma sortie matinale sous la monte de mon fidèle compagnon et avalé mon repas, j’embarque dans le van de la maison pour regagner Longchamp où une grande foule nous attend ce qui me laisse totalement impassible. Mon entraîneur vient me voir, il est très tendu, tout juste si il tient sur ses jambes lui qui est persuadé que je vais vaincre. Il vient d’assister à la victoire de Verveine dans le prix de L’Opéra et à la sortie de sa loge, un de mes co-éleveurs lui dit : « c’est dommage on aurait gagné l’Opéra ». Pour moi cela ne me perturbe guère et je me présente au défilé calme et sans aucune tension. La course démarre, je me place en bonne position, à la sortie de la fausse ligne droite je viens en dedans trouve l’ouverture et m’en vais vers le poteau. A cent cinquante mètres du but j’entends bien mon fidèle compagnon qui, debout sur la margelle de sa loge saute et vocifère afin de m’encourager alors que Monsieur Tsui le retient par le manteau de peur qu’il ne tombe. Je reconnais sa voix, je ne faibli pas et m’impose avec force et courage.
C’est la joie dans mon entourage, Monsieur Tsui tellement ému réclame un whisky qu’il avale d’un trait pour se remonter, tout le monde dévale les escaliers, je ne sais à quelle vitesse car je ne suis pas encore revenu à hauteur du poteau d’arrivée que mon mentor et mon fidèle compagnon sont la pour m’accueillir devant une foule en liesse qui nous applaudit ; dans leur précipitation ils en ont même tous oublié Christopher Tsui dans la loge. Je rentre aux balances, entre mon mentor et mon fidèle compagnon, beaucoup de monde au tour de nous et beaucoup d’applaudissements. Je rentre fière et calme, fière d’avoir permis à mon propriétaire d’être le premier Chinois à triompher dans la course la plus prestigieuse au monde, fière de n’avoir pas déçu tous les espoirs et la confiance de mon entraîneur ce passionné et amoureux de nous les chevaux qui, venu quelques années auparavant, de son Sud-Ouest natal, avait déjà frôlé la victoire dans cette course « rêve de tout propriétaire et tout entraîneur » et qui s’est accroché face à l’adversité pour conquérir ce titre suprême.
Fière et digne je rentre à l’écurie où je suis maintenant la convoitise de beaucoup de gens, moi la petite jument dont on dit que je n’ai pas un grand pedigree et vais poursuivre ma carrière avec mon fidèle compagnon par un voyage au Japon pour disputer la Japan Cup.
Arrivée à Tokyo je suis accueillie comme une star, et tous les gens du soleil levant m’entourent essayant de détecter en moi les mystères de la réussite. Le 28 novembre devant une foule immense je ne vais pouvoir terminer que huitième sur une piste un peu trop ferme pour mon boulet qui à force de combats demande des pistes de plus en plus souples afin que je puisse donner le meilleur de moi même.
A mon retour en France je prends la direction de Pau avec mon fidèle compagnon pour entretenir ma forme sous un climat plus clément que celui de Chantilly. Nous avons même l’honneur d’ouvrir le défilé du Grand Steeple Chase.
Le 4 avril de mes cinq ans je retrouve Longchamp terre de mes exploits ou je ne failli pas en remportant le Prix d’Harcourt sur un terrain à ma convenance. Le 1° mai à nouveau à Longchamp sur une piste raffermie je termine troisième du Prix Ganay.
Le 2 juin je repars avec mon fidèle compagnon vers l'Angleterre pour la Coranation Cup. Nous arrivons à Epsom sous un ciel chargé de gros nuages gris qui je l’espèrent vont faire autre chose que passer au-dessus de nos têtes, mais malheureusement tous ces gros cumulus chargés d’eau ne font que passer, poussés par un vent violent et ne tomberont sur les Downs qu’après ma quatrième place sur un terrain un peu trop ferme pour moi.
La se termine ma carrière de course car, de retour à Chantilly, si nous nous préparons à remettre en jeu notre titre dans l’Arc de triomphe, mon boulet présente des signes de faiblesses au fur et à mesure qu’avance ma préparation. De ce fait, mon mentor s’étant toujours refusé à m’infiltrer va m’embarquer un matin de septembre après m’avoir longuement embrassé, les yeux pleins de larmes, dans un van de la S T H, via la Normandie et le haras de Victot où je vais entamer une nouvelle carrière, celle de reproductrice.
Urban Sea au Haras.
23 avril 2014 LESBODES Jean created with Wix.com