

JEAN LESBORDES

Entretien avec... Jean Lesbordes
Jérôme Bernardet - Week END
Jean Lesbordes est un homme hors du commun. A plusieurs reprises, le professionnel a dû repartir de zéro, lâché par des propriétaires auxquels il avait apporté les plus grandes joies hippiques. Il a sellé en plat des gagnants de groupe I dont Urban Sea, la lauréate du Prix de l'Arc de Triomphe 1993, mais aussi de très nombreux vainqueurs dans les plus belles épreuves d'Auteuil. Il y a un mois, son fils Clément disparaissait tragiquement dans un .accident .Ce croyant n'a pas baissé les bras.
« Il ne faut pas perdre la foi »
WEEK-END - Il faut fatalement évoquer la tragique disparition de votre fils Clément, vingt-trois ans, début avril…Dès le lendemain, vous assistiez aux courses...
JEAN LESBORDES -. Effondré, mais aux courses, car je ne suis pas que père, mais aussi patron. J'ai sept employés, des apprentis qui travaillent pour moi, des propriétaires qui me font confiance, des chevaux à entraîner, à respecter. Il faut faire face. La vie a ses hauts et ses bas, comme tout. Il ne faut pas perdre la foi. Je suis très croyant. Ça aide beaucoup.
W.-E. - Il faut une certaine force da caractère...
J. L.- les épreuves vous la forgent. Ne pas baisser les bras, savoir, en .toutes choses, que la perfection est impossible à atteindre, mais essayer, quand même, de s'en approcher. C'est pareil dans le métier.
W.-E. - A quel niveau ?
J. L - Tous. Il y a des hauts et des bas, il faut continuer, toujours, essayer de tout améliorer.
W.-E. - Combien avez-vous de pensionnaires ?
J. L. - Une trentaine... W.-E. - Ce n'est pas beaucoup pour un Monsieur qui a remporté le Prix de l'Arc de Triomphe...
J. L - C'est comme ça. Certains propriétaires semblent vous tomber du ciel du jour au lendemain, mais ils partent généralement aussi soudainement qu'ils sont arrivés. De toute façon, je n'ai jamais tenu à entraîner une armada.
W.-E. – Vous êtes polyvalent, plat et obstacle. Quelle discipline préférez-vous ?
J. L - Le plat. .
W.E. - On a pourtant plutôt tendance à penser que le travail de l'entraîneur est plus valorisant en obstacle
.J. L. - Ce n'est pas mon point de vue. En obstacle, le cheval saute ou ne saute pas par aptitude. Vous pouvez travailler et améliorer le geste. le mécaniser... Personnellement, la pureté d'un galop -allure spontanée-, la vitesse naturelle me séduisent encore plus. J'aime gagner, comme tout le monde, et n'importe quelle course. Mais je préférerai signer un groupe l, Prix de Diane ou Jockey-Club, en plat, que le Grand- Steeple-Chase de Paris.
W.-E. - Urban Sea vous a offert la course suprême : l'Arc...
J. L. - Un grand, jour, professionnellement. L’aboutissement de tellement de choses et, évidemment, la réalisation du rêve que j l'on entretient tous. Depuis mes débuts, j'avais en tête cet objectif mais, il faut l'avouer, sans jamais y croire vraiment. Et puis, quand ça commence à devenir sinon envisageable tout au moins « pas impossible », on rame, on veille à tout, on doute, on reprend espoir, tout le temps...
W.-E. - C'est pour cette raison que vous êtes, sous vos apparences calmes et décontractées, souvent nerveux..
.J. L. - C'est ma nature. Je suis nerveux, bileux, anxieux. le souci du détail Toujours cette histoire de perfection. Et, paradoxalement, cela exige de la patience. Par chance, j'en ai. Mon héritage de paysan. Quand j'étais gosse dans le Sud-Ouest, ma famille était dans le milieu agricole. Je passais toutes mes vacances dans les fermes, à courir la campagne et les forêts. Un de mes oncles m'a enseigné beaucoup de choses que je juge essentielles, sur la nature, le climat, les effets du temps. Des choses immuables que le progrès ne pourra jamais changer. Chez nous, il faut 70 ans pour faire un pin. Des recherches ont abouti à une croissance plus rapide. Mais ces arbres précoces n'ont pas tenu. On ne peut pas aller contre la nature. Prenez mon Prince de Lumière, sur la touche depuis bientôt 2 ans. Je suis prêt à l'attendre longtemps, longtemps, le temps qu'il faudra. « On ne peut pas aller contre la nature. Je suis prêt à attendre un cheval longtemps, très longtemps. »
W.-E. - Quels sont les espoirs de l'écurie ?
J. L. - Mousse Glacée. Je n'ai jamais eu à m'occuper d'un animal d'une telle qualité avec une telle étincelle. Elle suivra bien sur la voie classique. Fier Danseur est un très bon poulain et sa performance dans le Prix Hocquart est meilleure qu'il n'y parait, vu les circonstances. J'ai aussi une pouliche d'Exit To Nowhere, inédite, qui sort de l'ordinaire. En obstacle, Singasinga, Rocotomanana et Chemin d'Etoiles, quand il aura vraiment pris totalement conscience de ses possibilités, devraient bien faire. Mon Romain, qui a gagné vendredi dernier pour ses premiers pas à Auteuil, est promis à un bel avenir. Comme Nononito, gagnant de groupe I en plat sur les longues distances, Vu ce qu'il a montré et ses gains potentiels sur les haies. je peux mieux situer sa valeur sur le marché des étalons.
W.-E. - Anne-Sophie Madelaine est entrée à votre service ?
J. L. - Oui, en début de saison. Didier Mescam, premier jockey de la maison, est indisponible depuis plus d'un an. Dès qu'il se remettra en selle, il retrouvera sa place à l'écurie, mais, en attendant, il fallait bien un pilote. Anne-Sophie était libre. Je lui ai proposé de l'engager en tant qu'employée, sans lui promettre pour autant qu'elle monterait les chevaux en compétition. Elle a répondu que c'était à elle de jouer et que c'était tout ce qu'elle attendait. Tout se passe bien. C'était Clément qui avait un peu servi d'intermédiaire entre elle et moi, car je ne la connaissais pas plus que cela. J'avais remarqué ses qualités en compétition, c'est tout. Alors, comme c'était Clément, je ne sais pas s'il s'opère une sorte de transfert, mais je considère un peu Anne-Sophie comme ma seconde fille,
W.-E. - Comment voyez-vous l'avenir des courses ?
J. L. - C'est un peu comme ce que je vous disais tout à l'heure. Il y a des hauts et des bas et il faut laisser le temps au temps. Je crois que les courses sont en train d'évoluer dans le bon sens, que des prises de conscience ont lieu. Mais cela ne peut se faire d'un seul coup, il faut que tout se mette en place. Et il Y aura toujours des courses. C'est un sport naturel, qui remonte à la nuit des temps. le cheval exerce une espèce de fascination, les courses ont un côté magique qu'aucune force, pas même celle de l'argent, heureusement, ne pourra contrarier. Et c'est pour ça que, même si, un jour, je dois abandonner les courses, je finirai ma vie avec les chevaux.
23 avril 2014 LESBODES Jean created with Wix.com